En juillet 2015, après douze ans de négociations entre différents pays et l’Iran, le JCPOA était signé. Le JCPOA, c’est l’accord sur le nucléaire iranien. Il permet un encadrement des activités nucléaires iraniennes. En contrepartie, une levée progressive du régime de sanctions visant l’Iran a débuté. En 2018, Trump, alors président américain, a annoncé le retrait des États-Unis du JCPOA. Cette action a contribué à ce que les tensions déjà existantes arrivent à un niveau tel que l’accord était remis en cause. Depuis, les négociations ont repris. J’ai récemment participé à un exercice de prospective sur les différentes options envisageables d’un nouvel accord et leurs implications.
Contexte de l’accord nucléaire iranien
Le JCPOA (pour Joint Comprehensive Plan of Action, en français : le Plan d’action global commun) est le cadre politique permettant de contrôler le programme nucléaire iranien et de faire lever les sanctions économiques qui touchaient le pays. La signature est survenue après douze ans de négociations, à Vienne. Les parties prenantes sont : les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies (les États-Unis, la Russie, la Chine, la France et le Royaume-Uni + l’Allemagne = P5+1), l’Union européenne et l’Iran.
Les trois points principaux de l’accord sont :
- Une limitation du programme nucléaire iranien. Cela se traduit notamment par d’importantes restrictions sur les centrifugeuses (une division par 4, en gros). De plus, seule l’utilisation du modèle IR-1 est autorisée pour une durée de dix ans. Un autre axe est la limitation des stocks d’uranium enrichi : pendant 15 ans, l’Iran doit rester à un enrichissement maximal de 3,67% (UF6), uniquement sur le site de Natanz. La quantité enrichie ne doit dépasser 300kg. Des limitations similaires s’appliquent à la production de plutonium (site d’Arak), pendant 15 ans.
- Un renforcement des contrôles. Pour assurer le respect de ces limitations pendant la durée indiquée, l’Iran doit permettre des inspections poussées par l’AIEA (l’Agence internationale pour l’énergie atomique).
- Une levée des principales sanctions internationales contre l’Iran. Certaines restrictions (d’armes ou de matériels sensibles) restent maintenues. Toutefois, les sanctions sur les secteurs de l’énergie, des transports ou de la finance sont levées. De plus, la levée de ces sanctions permet à l’Iran de récupérer des milliards d’assets gelés, d’attirer des investissements directs étrangers et de conclure de nouveaux partenariats commerciaux.
Début 2016, l’AIEA a publié un rapport attestant que l’Iran a respecté l’accord.
Lors de mon M2 en Relations internationales – Défense, Sécurité et Gestion de crise, j’ai travaillé pendant 9 mois sur les perspectives de développement commercial en Iran. Mon focus était le secteur tertiaire, avec un accent sur l’entrepreneuriat numérique et la finance islamique chiite (aussi, cet article est super). Cet exercice était pendant les mois ayant procédé la signature du JCPOA. C’était passionnant, mélangeant la prospective, l’analyse géostratégique, les nouvelles dynamiques sociales 😍
Le JCPOA à l’agonie
Je ne m’étendrai pas sur le contenu de mon analyse ; c’était passionnant mais aujourd’hui plutôt obsolète. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts.
Lorsque Trump a annoncé le retrait américain du JCPOA, 12 exigences sont venues complexifier l’affaire. Le contexte géopolitique a également évolué depuis 2015 (enlisement syrien, guerre au Yémen, crise au GCC, Trump, bref). Du coup, l’Iran n’a pas du tout apprécié cette n-ième démonstration de manque de respect. Les sanctions punitives américaines imposées après leur sortie du JCPOA ont exacerbé les tensions et mis le JCPOA à l’agonie. Certains pays du Moyen-Orient ont soutenu les États-Unis. L’Iran a aussi mis en avant ses conditions renouvelées pour retourner dans le JCPOA. Côté Europe, l’UE et la France ont tenté de calmer le jeu, avec un impact limité.
En 2019, un rapport sensiblement alarmant de l’AIEA indique que l’enrichissement se poursuit. Cette dynamique restait, toutefois, dans le cadre du JCPOA. Début 2020, l’Iran a annoncé cesser de respecter les limitations JCPOA. Depuis, la quantité d’uranium enrichi a augmenté, le nombre de centrifuges aussi. Côté contrôle, c’est un cauchemar. L’AIEA n’a plus accès aux installations, mais a réussi à obtenir la transmission de données. Ce pis-aller permettait de tenir un cadre, précaire certes, mais plutôt rassurant.
Côté négociations, les choses se sont évidemment tendues. Jusqu’à présent, les diplomates iraniens et américains ne se parlent pas directement ; les délégations européennes font « passe-plat ». Les partenaires russe et chinois de l’Iran sont également en faveur d’un retour au JCPOA. L’ère Trump a quand même laissé énormément de séquelles ; l’arrivée de Biden et le retour dans le multilatéralisme ne font pas tout. Les évaluations sur la militarisation croissante de l’Iran vont bon train, voire inquiètent à un point tel que de causer un épisode « Stuxnet, le retour de la vengeance ». Ainsi, même si les négociations ont repris, on est dans le dur.
Exercice de prospective : l’accord en 2021
Avant l’ouverture des négociations à Vienne, j’ai participé à un exercice de prospective. Les objectifs étaient :
- Explorer les implications potentielles d’un nouvel accord ainsi que de son absence, sur la stabilité du Moyen-Orient.
- Évaluer la probabilité et l’impact des différents scenarios sur les acteurs régionaux et internationaux.
- Explorer l’impact des scenarios « accord »/ »pas d’accord » sur la dynamique géostratégique et de sécurité entre les acteurs régionaux.
Disais-je plus haut, le paysage géostratégique a changé depuis 2015. Les sanctions américaines ont frappé certaines entités/personnes iraniennes deux fois : activité nucléaire mais aussi par ex. ingérence électorale. Ainsi, lever les sanctions strictement liées au nucléaire n’aurait pas l’effet libérateur recherché par l’Iran. De plus, l’augmentation des capacités d’enrichissement ne se résume pas à un simple décommissionnement de centrifugeuses surnuméraires. Les gens ne vont pas automagiquement oublier ce qu’ils savent faire en la matière. Bref, même si toutes les parties prenantes souhaitent re-normaliser la situation, les négociations seront délicates.
La méthodologie utilisée
Côté méthodologie, on était dans un mélange (chouette) de scénarisation et de Delphes allégé.
Concernant les scénarios, il s’est agi de les développer d’après quatre grandes tendances :
🙌 Tendance 1 : Le JCPOA est renouvelé avec des changements mineurs, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ;
😓 Tendance 2 : L’Iran retourne au JCPOA, mais triche dans les faits ;
😅 Tendance 3 : Pas d’accord, mais l’Iran ne poursuit pas d’enrichissement à des fins militaires ;
😱 Tendance 4 : Pas d’accord, l’Iran y va à fond les manettes, c’est la cata.
Pour chaque tendance, il s’est agi de développer des scénarios qui reflètent divers évènements et leurs implications pour l’Iran et les acteurs régionaux. Chacun-e parmi les expert-es participant à l’exercice pouvait commenter, compléter, enrichir. Chaque scénario nécessitait également la formulation de mesures normatives/de négociation.
Au bout d’une semaine, l’étape « scénarisation » se clôt ; on passe aux votes. L’approche sélectionnée était une sorte de méthodologie de Delphes, mais allégée. Il s’agit de faire émerger les scénarios et mesures associées les plus optimales, soit pour renforcer un processus de négociation positif (Tendances 1 et 3), soit pour éviter le pourrissement de la situation (Tendances 2 et 4). Les votes étaient étalés sur 2 jours.
Et les résultats alors ?
Quand on prend 100 personnes et qu’on leur demande d’imaginer des futurs possibles, le résultat est rarement unifié 😉 J’ai constaté qu’une majorité des scénarios proposés étaient quand même plutôt pessimistes, avec de vraies craintes pour une escalade de violence régionale.
Pour ma part, je suis une éternelle optimiste qui aime à envisager et viser des dénouements positifs. Du coup, j’ai surtout élaboré des éléments sur la Tendance 3. L’enrichissement au-delà de 3,67% que fait l’Iran ne semble pas réellement destiné à des fins militaires ; les annonces d’enrichissement à 60% semblent surtout être un message politique. J’ai notamment réfléchi à un renouveau, y compris de son rôle politique, pour le GCC et quel impact cela peut avoir dans les interactions avec l’Iran. En effet, depuis la fin du bannissement qatari, le GCC retrouve un acteur supplémentaire souhaitant des relations apaisées, voire coopératives, avec l’Iran. Ainsi, même si la situation au Yémen et les tensions régionales y afférentes ne doivent pas être négligées, j’ai imaginé différentes approches pour le GCC d’agir pour un apaisement.
Globalement, les Tendances 1 et 3 ont rassemblé la moitié des votes. La Tendance 1 est la moins plébiscitée, pas tant parce que personne ne souhaite le JCPOA mais surtout parce que tout ce qui s’est passé entre 2017 et 2021. Je pense que l’élément le plus remarquable était l’avis majoritaire des ~100 expert-es sur la coopération régionale renforcée, qu’un accord soit ou pas signé. J’avais déjà fait des exercices similaires, en plus de mon travail pendant le M2, sur la configuration US/Chine. Et cette fois, à la différence des conclusions d’il y a quelques années, on a vu un retrait frappant de la confiance accordée aux États-Unis de faire respecter un accord. Le rôle de la Chine s’en trouve d’autant plus renforcé et ce, avec tous les acteurs régionaux et quel que soit le résultat des négociations.