Lisons ensemble : une analyse de l’inégalité à l’école

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Un ami a partagé cet article en demandant des avis. Je n’ai pas pu me retenir : c’est une question importante et la voir traitée avec aussi peu de discernement et de rigueur me choque.

Si je puis me permettre… Je ne sais pas trop comment dire ça gentiment, mais c’est un monceau de factoïdes tournant autour d’un mot qui ne fait pas sens, le tout présenté par un ponte (donc, argument d’autorité oblige, on est d’accord). Le tout premier paragraphe est une combinaison assez hallucinante de confusion sur fond de mauvaise écriture et de logical fallacies (désolée, toujours pas trouvé d’expression en français pour ça). Pour un chercheur, ça se pose.

Voilà donc quelques pitites choses qui me chagrinent là. Après l’entrée en matière en dessous de 0 : c’est quoi « la démocratisation de l’école » ? Parce que, à ce que je sache, en France le niveau de scolarisation est « un peu » au dessus de 10%… Du coup, je n’ai pas compris de quoi il parle : est-ce de l’accès à l’enseignement supérieur ? Ou plutôt de la qualité de l’apprentissage et des méthodes pédagogiques mises en oeuvre ? Je veux dire, il nous bassine avec des graphes de merdre (j’y reviendrai plus tard), mais comme d’hab’, les stats ne sont pas mises en contexte et on n’en tire rien. Je veux bien lire que les 10% des élèves les plus défavorisés ont un score PISA en maths super bas… et alors ? Qu’est-ce que ça veut dire par rapport à ce qu’ils ont appris ?

Ensuite, revenons aux stats et graphiques justement, j’ai une appétance pour ce genre de choses. Graphique 1 est illisible. Il lui manque deux-trois bricoles genre le nom des axes. Pour un mec qui s’insurge contre les bas scores, il fait preuve d’une négligence et d’un amateurisme exemplaires. D’après la légende, je dois lire un truc donné — ce qui renforce le sentiment de « je te dis quoi penser, pas comment penser », pourtant décrié comme une tare de l’enseignement français. Well done, buddy, well done.

Ensuite, le Graphique 2 (lui aussi fait avec OpenOffice, mais franchement, il n’a toujours pas pigé qu’il y a mieux… bref), on a droit à un truc génial : la ségrégation de la société française en « cadres » et « ouvriers ». Machine à remonter le temps : check, on est dans les années 1980-1990. Si quelqu’un peut m’expliquer qui sont « les ouvriers » et qui sont « les cadres », je suis preneuse. Et qu’est-ce que SEGPA ?

Et ensuite vient un truc génial : la comparaison avec l’Étrangie (càd, tous les autres pays autour qui sont tellement nettement plus mieux bien dans ce cas). Alors, là, florilège : on compare des pays qui n’ont rien à voir, sur des processus qui n’ont rien à voir, on donne un contre-exemple qui marche mais on comprend pas ce qu’il est censé apporter, et pour soutenir la performance de l’Étrangie, on compare des pourcents et des points ! Lui, chépa si ces parents sont « ouvriers » ou « cadres », mais il n’a ptet pas fini le lycée.

J’aime bien la légende du Graphique 3 « Lecture » qui nous écrit ce qu’on est censé comprendre du bidule. Lequel est — une première pour cet article — à peu près lisible même si les axes n’ont toujours pas de nom. Mais comme à son habitude, il ne met les graphiques que pour faire zouli : ils ne sont pas discutés. Par ex., si je me réfère à Graphique 3, l’écart entre les 10% les plus bas et les 10% les plus hauts est relativement similaire dans plusieurs pays — et ça, c’est une remarque pertinente parce qu’elle montre une inégalité. Il y a un autre truc qu’il a loupé : l’écart entre les premiers 10% et les deuxièmes 10% (les ronds bleu foncé et vert, respectivement) : il nous bassine avec combien c’est chouette ce que fait l’Allemagne, mais il omet de commenter le fait que l’écart entre ces deux groupes est immense et encore plus élevé en Allemagne qu’en France. Càd que ceux qui sont à la ramasse ont des difficultés énormissimes à s’améliorer. Et je passe sur le choix tout à fait curieux des maths comme indicateur de comparaison et de la non-mention de tous les autres indicateurs.

Graphique 4 ou le retour de la vengeance de l’histogramme OpenOffice : il n’y a pas de noms d’axes, c’est illisible — et on apprend que les déciles ici (qui semblent contextuellement correspondre aux déciles du Graphique 3) maintenant font référence aux élèves les moins scolarisés. Un joli glissement : plus haut, c’était les élèves les plus défavorisés (statut social), ici c’est niveau de scolarisation. Mais vas-y comme je te pousse, c’est tout pareil. La durée des études exprimée en « ??? » (à un endroit il parle de mois, puis d’années) des élèves caractérisés par « ??? » (on sait pô).

Le reste du machin est dans le même esprit, c’est exaspérant de manque de rigueur et de paresse intellectuelle. Et je passe sur l’endroit où il nous fait comprendre que « corrélation = cause à effet ». Mais vous avez l’idée. Dommage, vraiment dommage de permettre ce genre de contenu à être considéré comme des analyses de référence ou d’autorité. Et côté pseudo-scientifique bonus : il s’auto-référence dans l’article et pas qu’une fois. Ainsi, sur les 13 articles scientifiques cités en référence, 6 sont de l’auteur de l’article ci-commenté. C’est du win-win : je ponds un papier facile dans un média en ligne, pour soutenir mon avis, je me cite et j’augmente ma visibilité et mes références pour les métriques universitaires.