« En 2022, selon une étude du cabinet spécialisé en aéronautique Teal Group, le budget mondial de dépenses liées aux drones civils et militaires devrait doubler, atteignant près de 12 milliards d’euros ».
Ce chiffre, souligné par Paul Hessenbruch (« Armées d’aujourd’hui » n°393), reflète l’essor de l’industrie de drones dans le monde. La France n’en fait pas exception. Malgré ces développements industriels, le débat autour de l’utilisation des drones militaires continue.
La présente note introduit les différentes catégories de drones existant aujourd’hui et les législations en vigueur respectives. Elle s’attarde par la suite aux problématiques posées par les drones en lien avec les industries de souveraineté et fait ressortir les arguments principaux du débat autour de l’utilisation des drones.
Drones civiles et militaires, une industrie en plein essor
Des engins volants téléguidés, les drones sont de plus en plus utilisés aussi bien dans le domaine militaire que civil.
Les drones : typologies et législation
Un drone est tout appareil volant dirigé à distance (par télécommande ou téléphone mobile). Il existe deux grandes familles de drones : à usage civil et ceux utilisés dans le domaine militaire. D’après l’article « Du bon usage des drones » (Le Figaro), la première catégorie compte les drones professionnels (utilisés par les photographes, les cinéastes ou encore les agriculteurs) et de loisirs (s’adressent aux amateurs). La seconde désigne les drones utilisés dans les conflits armés.
La législation relative à ces deux familles de drones diffère également, reflétant les usages qui en sont faits. Les drones civils peuvent être pilotés par tout un chacun respectant « quelques règles de bonne conduite », précise Le Figaro. L’article cite notamment deux arrêtés du 11 avril 2012 portant respectivement sur les conditions d’insertions dans l’espace aérien et sur la conception et les conditions d’utilisation. En outre, il existe, dans la législation française en vigueur, de articles de loi réglementant l’utilisation de drones civils. Ainsi, la responsabilité du télépilote est engagée en cas de dommages causés par le drone (Art. L61613-2 du Code des transports) ; de même, des sanctions pénales sont prévues en cas de violation des règles de sécurité (Art. L6232-4 du Code des transports).
La législation en vigueur encadre également la prise de vue aérienne (Art. D133-10 du Code de l’aviation civile) et prévoit des peines en cas d’atteinte à la vie privée d’autrui (Art. L226-1 du Code pénal) ; dans ce dernier cas, la sanction est une peine d’un an d’emprisonnement et 45 000€ d’amende). Comme le souligne Le Figaro, les gendarmes sont les pouvoirs compétents dans les cas d’utilisation de drones civils. Des cas d’infractions ont été constatés et des amendes infligées. En complément de ce cadre légal viennent des règles telles que l’interdiction de survol de zone urbaine ou de foule. Les zones sensibles ne sont pas autorisées au survol à moins qu’une autorisation préalable a été délivrée par la Direction générale de l’aviation civile. En fonction de l’usage fait des prises de vue effectuées par le drone, il peut être nécessaire d’enregistrer le drone pour un usage professionnel auprès des autorités compétentes.
Le cas des drones militaires est différent. À l’heure actuelle, il n’existe pas de disposition légale nationale régissant les drones militaires. Le droit international humanitaire, soit l’ensemble de règles régissant les conflits armés, ne prohibe pas expressément les drones (« Les drones armés doivent être utilisés dans le respect des lois », CICR). Dans ce cadre, les drones ne sont pas non plus considérés comme des armes frappant sans discrimination ou perfide. Il est important de souligner que l’utilisation des drones relève du droit international. Ainsi, lorsqu’on parle de drones militaires, il s’agit de drones armés utilisés dans le cadre d’un conflit armé, par opposition à un drone de surveillance qui peut donc être à usage civil. Par conséquent, un drone armé utilisé en situation de conflit obéit aux mêmes règles que tout système d’armes : les parties du conflit « doivent toujours faire la distinction entre combattants et civiles, et entre objectifs militaires et biens à caractère civil », souligne le CICR. Enfin, au regard du droit international humanitaire, la responsabilité du téléopérateur d’un drone armé et celle de sa chaîne de commandement est engagée, même si ceux-ci se trouvent à des milliers de kilomètres du site de frappe.
Perspectives de développement : l’avènement des drones français et européens
À l’heure actuelle, la France n’utilise ses drones que pour la surveillance et le renseignement : le pays ne dispose donc pas de drones armés. D’après L’Opinion (« La France rattrape son retard militaire dans les drones »), il n’y pour l’instant pas de position claire de la part du Ministère de la Défense et de la Direction générale de l’armement. L’article souligne que l’armée de l’air ne dispose actuellement que de 6 drones, contre 400 dans l’armée américaine. Cette situation changera car la Loi de programmation militaire (2014-2019) prévoit l’acquisition d’environ une douzaine de Reaper, soit des drones de surveillance. Malgré leur acquisition, des efforts doivent être poursuivis afin de légaliser leur emploi. En effet, comme le souligne Paul Hessenbruch (dossier « Armées d’aujourd’hui » n°393), les Reaper ne remplissent pas encore toutes les conditions nécessaires et ne peuvent donc pas effectuer des missions de surveillance du territoire national.
L’utilisation croissante de drones au niveau mondial constitue un véritable pivot de l’industrie militaire y compris en France. De nombreux projets de recherche se développent, cherchant à faire voler les drones dans le stratosphère ou de les faire plonger dans les profondeurs sous-marines (dossier « Armées d’aujourd’hui » n°393). Jusque-là, les États-Unis et l’Israël sont les leaders incontestés du domaine. Mais un accord franco-britannique, signé en juillet 2014, entend lancer un démonstrateur de drone de combat. Ce partenariat entre Dassault Aviation (France) et BAE Systems (Royaume-Uni) vise ainsi à produire le premier drone de combat européen. D’après Le Monde (« Les débuts du drone franco-anglais »), l’étude de faisabilité a été officiellement lancée le 5 novembre 2014 ; prévus pour 2016, ces résultats décideront de la réalisation du futur drone de combat franco-britannique. Cet accord fait suite à d’autres programmes indépendants tels que nEUROn(développé par Dassault) et Taranis (élaboré par BAE Systems) lesquels avaient produit des démonstrateurs différents.
L’usage des drones en France et dans le monde
Alors que de plus en plus de programmes de recherche se développent visant la construction de drones civils et militaires, leur utilisation provoque des inquiétudes et suscite des débats.
Système anti-drones et sécurité des centrales nucléaires
Comme explicité plus haut, certaines zones dites sensibles sont interdites au survol. Il s’agit de zones habitées et de centrales nucléaires, ces dernières étant d’importantes industries de souveraineté. Afin de se prémunir contre des survols non-autorisés par drones, des dispositifs spécifiques peuvent être mis en place. Il en existe trois types (« Comment fonctionne un ‘dispositif anti-drones’ ? », Le Monde) : les systèmes basés sur des lasers (Raytheon), le système de brouillage (armée russe) et enfin, le système de repérage acoustique (Droneshield). Le développement et l’utilisation de tels dispositifs restent soumis à une surveillance stricte de la part des autorités.
Entre octobre et novembre 2014, treize centrales nucléaires françaises ont été survolées par des drones (« Quelles menaces les drones font-ils peser sur les centrales nucléaires ? », Le Monde). L’article s’arrête longuement sur les risques que de tels survols peuvent provoquer et sur la déclaration du Ministre de l’intérieur selon laquelle ils ne représentent « aucun danger pour la sécurité des installations survolées ». En effet, les centrales nucléaires françaises ne seraient pas affectées par un explosif ayant été transporté par un drone, celui-ci ne pouvant pas larguer une charge suffisamment élevée pour porter atteinte à l’intégrité physique de l’installation. Si une telle menace directe semble écartée, une menace indirecte persiste, « à savoir la possibilité d’un repérage des équipements des centrales en vue d’un acte de terrorisme ». L’article du Mondesouligne cependant que même un tel risque reste faible car les plans des installations sont déjà accessibles au public. Malgré ces assurances, des ONG écologistes expriment leur inquiétude quant à la sûreté des centrales face à une éventuelle attaque de la centrale.
La protection des centrales nucléaires françaises repose sur différents dispositifs, précisent l’article du Monde. Outre les pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie, le GIGN et les clôtures électrifiées reliées aux alarmes anti-intrusion, les centrales seraient également dotées par des dispositifs anti-drones. Le Ministre de l’intérieur n’a cependant pas souhaité préciser le type de dispositif utilisé. Lors d’une intervention sur France Info le 30 octobre 2014 citée par Le Monde, M. Cazeneuve n’a fait état que des difficultés de neutraliser les drones. Ainsi, les abattre semble « extrêmement difficile » étant donné la petite taille des objets ; le brouillage de signaux visant à bloquer la communication entre le téléopérateur et le drone semble également peu aisé car susceptible de perturber d’autres équipements dans le voisinage.
Questionnements et débats
L’usage fait des drones, que ce soit dans le domaine civil ou dans le cadre de conflit armé, suscite des inquiétudes et des débats. En plus des questionnements quant à la sécurisation des zones urbaines et industries de souveraineté, l’utilisation de drones armés dans le domaine militaire pose problème. D’après Jean-Baptiste Jeangène Vilmer (dossier « Armées d’aujourd’hui » n°393), les drones armés participent et renforcent le caractère asymétrique des conflits armés en cours. Le débat, précise M. Vilmer, a cours aussi bien lorsque les pays utilisent des drones armes que lorsqu’ils disposent de drones armables. Les préoccupations éthiques majeures trouvent leur origine dans les opérations menées par les États-Unis au Pakistan et au Yémen, notamment avec l’élargissement de la définition de cible. En effet, regrette M. Vilmer, les cibles des drones armés américains ne sont plus exclusivement les personnalités « de grande valeur » mais tout militant présumé. Ce périmètre peu clair et peu encadré a conduit à de nombreux abus lesquels invalident la rhétorique de « la guerre zéro mort ». Cette dernière peut avoir des effets pervers : M. Vilmer met en garde contre la croyance que l’utilisation de drones armés permet « la guerre zéro mort » car une telle conception peut entraîner une augmentation du nombre de conflits.
En dehors des effets pervers, d’autres craintes sont énoncées. Ainsi par exemple, les drones sont dénoncés car étant « l’arme du lâche » (« La France rattrape son retard militaire dans les drones », L’Opinion). Contre ces considérations métaphoriques, L’Opinion fait également place aux des voix soulignant que, au contraire, « cette nouvelle arme permet de respecter les principes fondamentaux du droit de la guerre ». Ainsi, la question est ramené au droit international humainitaire. Le prof. Lagrange, cité par L’Opinion, fait le distinguo entre technologie et usage qui en est fait ; selon lui, la polémique est seulement due à l’usage fait des drones au Pakistan et au Yémen. La position du CICR (« Les drones armés doivent être utilisés dans le respect des lois ») est en accord avec le nuance introduit par le Prof. Lagrange. Le CICR insiste cependant sur la difficulté toujours croissante de clairement distinguer entre les différents types de situations de violence. Ce sont celles-ci qui déterminent l’usage à faire des drones armés. Le CICR souligne également la prise en compte nécessaire mais actuellement absente du traumatisme psychologique qui semblerait causé par les drones survolant des territoires de civils. Il s’agit d’un effet de l’utilisation des drones armés qui doit également être apprécié au regard du droit international humanitaire, appréciation très difficile à réaliser de par le manque d’informations pertinentes.