Les deux premiers épisodes de ma trilogie sur la gestion du temps et des tâches sont déjà en ligne (méthode ; outils), le troisième arrive prochainement. Cependant, le confinement pour cause COVID19 étant arrivé entre-temps, je pense qu’un aparté sur le télétravail s’impose.
Je ne vais pas répéter ce qui a déjà été dit par Korben ou par différents twittos. J’aimerais plutôt me concentrer sur les habitudes et l’attitude face à un rythme qui est, je crois, une nouveauté pour beaucoup. Entre les enfants, le fait de se retrouver 24/7 entièrement seul-e ou contraint-e de cohabiter avec au moins une autre personne et le boulot, la situation n’est pas simple. L’anxiété induite par le spectre d’une possible maladie dont on ignore encore beaucoup de choses ne fait qu’ajouter du stress.
Avant toute chose, j’aimerais insister sur un aspect crucial : le télétravail, surtout induit par la situation actuelle, n’est pas et ne doit pas être pris sous l’angle « je fais aussi proche de la réalité du bureau que possible ». On ne peut pas transposer un cadre de bureau à un contexte aussi particulier que la maison en conditions de confinement total. J’insiste lourdement sur ce point parce qu’il contribue à créer encore davantage de stress et de pression.
Ainsi, l’angle par lequel j’aborde le sujet du télétravail est toujours le même : faire en sorte que le pro n’empiète pas sur le perso et inversement. Il n’est pas question de tomber dans des travers productivistes frisant le ridicule (« entre mes tâches pro, je vais apprendre la harpe en m’occupant de mes petits, en cuisinant 12 nouveaux plats par semaine et en faisant 2h de yoga par jour ») qui nous expliquent qu’on peut produire encore plus en travaillant de chez soi. Plutôt, essayons de trouver notre propre rythme.
Le temps est un piège
Vous vous souvenez cette époque reculée où on portait des chaussures et qu’on pestait contre les retards du métro ? Où on courait entre les activités de Gosse n°1 et Gosse n°2 en jonglant avec les courses et 1h d’activité récréative pour soi ? Le temps passe différemment quand on a des repères externes.
Là, nos repères externes se sont écroulés. Quel jour est-il ? Pire encore, on a l’impression que la journée se traîne mais que les jours passent atrocement vite… même si, en fin de compte, ils tendent à se ressembler.
Je crois que le plus déstabilisant dans tout ceci est l’impression de ne pas avancer. Eh oui, en conditions de bureau, le rythme est en partie conditionné par les interactions avec les collègues. Chez soi, surtout si on est seul-e ou avec une autre personne qui télétravaille, le temps s’écoule différemment. Le plus piégeux est, je crois, ce sentiment qu’enfin, on aura le temps de faire toutes ces choses qu’on mettait de côté. Mais alors, pourquoi on n’y parvient (toujours) pas ?
Parce que l’humain est notoirement mauvais en évaluant le temps que prend l’exécution d’une tâche. Naturellement, si votre quotidien est composé d’activités similaires, voire quasi-identiques, estimer la durée d’une tâche est relativement simple. Pourtant, les métiers pouvant télétravailler sont rarement constituées de telles tâches.
Une façon simple de contourner ce piège est de prévoir le double de temps que vous espérez mettre. Par ex., pour écrire ce billet, j’ai prévu 3h alors que me connaissant, je sais que la vraie durée est plus proche de 2h. Cela permet de réduire la pression à propos de la fameuse deadline qu’on va de toute manière probablement rater si on ne se permet pas une amplitude plus raisonnable.
La structure, c’est important
Une raison pour laquelle il est nettement plus simple de tirer un trait entre le temps pro et le temps perso est la structure de nos journées. Les 35 heures sont un pilier en France, notamment la journée de travail de 8h.
Cette durée peut être vue sous l’angle du présentéisme : faut que je sois présent-e, peu importe si je fais quelque chose de vraiment utile. Des méthodes managériales d’un autre âge nous imposent encore une égalité entre heures passées à son poste et productivité au travail.
Au-delà de cet écueil, si on centre sur sa propre perception, on se rend compte qu’on est susceptible de travailler davantage. Je me souviens de l’époque, il y a bientôt 6 ans, où j’ai commencé à travailler de la maison. On n’a plus de limites : je cuisine mon déjeuner en lisant mes mails alors que je ne fais pas un tel truc en attendant mon repas au bureau, par ex. Et comme mon travail vit avec moi, je peux le faire à n’importe quel moment.
Ces débordements ne sont pas une nouveauté : si l’on permet la flexibilité (par opposition à un cadre type, par ex. la journée de 8h), le pro grignote souvent sur le reste. Je rappelle, à toutes fins utiles, que le droit à la déconnexion est étroitement lié à cette nécessité de prévenir les débordements.
Par conséquent, il faut structurer cette prétendue liberté. Il ne s’agit pas de tenter de mimer la journée au bureau. Plutôt, l’objectif est d’articuler autour de 3 piliers principaux :
- Jusqu’où aller trop loin dans le pro vs. perso (spécifique à chacun-e) ;
- Dans quelle mesure je peux prédire ma journée ;
- Quel est le seuil à partir duquel je m’autorise à proclamer la fin de la journée de travail.
J’ai une boule de cristal : ma liste de tâches
Eh oui : organiser ses tâches de la journée, voire de la semaine, c’est une façon de prédire une partie de la charge de travail. J’en ai beaucoup parlé dans les billets sur la méthode et les outils permettant de mieux s’organiser. Je vous les remets :
Bien sûr, anticiper ne signifie pas tout milimétrer. Parce qu’on ne tiendra pas si c’est trop rigide. Cependant, une limitation peut être de se dire qu’on travaillera 4h le matin et 4h l’après-midi, avec 1h de pause déjeuner. C’est pourquoi, mon calendrier et ma liste des tâches contiennent le créneau « Déjeuner ».
Puisqu’on parle de stratification, deux aspects me paraissent importants ici. L’un est la discipline que tous les télétravailleurs semblent avoir. L’autre est les priorités de la journée.
La discipline et le télétravail
Les débuts du télétravail ont été assez déstructurés pour moi. Je me levais à 10h, je traînais à la maison et je commençais ma journée à 14h. En partie, c’était pratique car la plupart de mes clients étaient dans d’autres parties du globe, donc décalage horaire. Au bout de 2 semaines, je me suis rendue compte que je n’avais plus de vie sociale. Il était l’équivalent de midi pour moi quand les potes sortaient du bureau pour boire un verre.
Ajoutons à cela les voyages pros dans des contrées que le péquin moyen connaît surtout à travers NatGéo ou l’occasionnel flash info sur la vie des castors du Tonquin. Je vivais en partie chez moi, en partie dans un aéroport, avec le régime alimentaire que ça implique. On a connu plus gourmet… mais surtout, plus équilibré. L’impression permanente de courir derrière les évènements était des plus pénibles.
C’est assez différent des iconographies idéalisées du freelancer parfait, n’est-ce pas. Non, le petit-déj’ n’est pas servi sur un plateau couleurs pastel, même si vous êtes dans un hôtél 5*. Non, vous ne pouvez pas vous permettre un-e assistant-e. Etc.
Alors, si l’on veut éviter de se brouiller avec ses potes, on planifie. On ordonnance et on s’y tient au mieux. Le matin, on fait sa toilette. On ne mange pas à l’arrache devant son ordi à 15h. On s’habille comme on veut, l’essentiel est d’être confortable.
Côté accomplissement, on planifie les tâches prioritaires et on ne les perd pas de vue. Vous pouvez commencer par fixant ce qui est impératif. Ainsi, la culpabilité ne vous embête plus parce que le plus prioritaire est fait. Le moins prio, c’est pour le lendemain. Vous verrez, on y arrive 🙂
Le temps est un piège, le retour de la vengeance
Le timeboxing dont j’ai déjà parlé dans le billet sur les outils (cf. supra) permet de bloquer des créneaux pour travailler sans interruption. Pour vous y aider, vous pouvez couper les notifications (du mail, du chat du boulot, etc.).
Bien sûr, bloquer un créneau ne signifie pas qu’on passe 2h en bossant à plein régime. On se lasse, on perd la concentration, c’est normal. Alors, on fait des pauses. Au bureau, ça se traduit par le papotage à la machine à café. C’est à vous de trouver comment matérialiser une pause à la maison. L’essentiel est de vous lever, de faire autre chose que rester devant l’ordi, pendant 10 min. Je me fais un thé et je me mets à la fenêtre en regardant le parc, par ex.
Des outils existent pour permettre de séquencer un créneau. Pomodoro est bien connu pour ça. L’idée est simple : on fait un truc et seulement ce truc, pendant un temps donné (25 min, 40 min, c’est à chacun-e de voir). Ce temps passé, on prend 5-10 min de pause. Une tâche (écrire ce billet de blog par ex.) peut être découpée en différents pomodori. Ainsi, le temps devient plus facilement gérable. Des logiciels existent, on peut en parler ultérieurement, mais vous pouvez juste mettre une alarme sur votre téléphone.
Sur les smartphones modernes, vous avez aussi la fonction « bien-être numérique ». Elle permet de limiter le temps passé par jour sur certaines applis (réseaux sociaux, mail, etc.). Cela aide aussi à implémenter la déconnexion 🙂
« L’enfer, c’est les autres »
Le télétravail, ce n’est pas exister dans une bulle où seules vos tâches comptent. Non, les process de l’organisation ne sont pas là pour vous permettre de hiérarchiser les tâches. Oui, on a l’impression que tout est également prioritaire. Non, les collègues ne vont pas auto-magiquement décider de ne plus vous écrire des mails/vous appeler/vous parler par messagerie instantanée. Et en ce moment de confinement, il y a la famille avec vous H24.
Avant de décider de dépecer vos enfants à la petite cuillère (c’est plus ludique, je sais) et d’insulter tous vos collègues en kirghize, prenons un peu de recul. Le télétravail cristallise et fait ressortir les différentes façons de gérer le temps et d’aborder les tâches. Il y a celleux, comme moi, qui planifient et exécutent. L’important, c’est de savoir où on va et pourquoi, cela donne sens et permet de prioriser. Et il y a celleux qui font sans pour autant anticiper et avoir besoin de savoir pourquoi.
Vous la voyez, la fracture ? Les « planificateurs » sont horrifiés par ce qui ressemble à de l’agitation côté « faiseurs ». Ces derniers, toutefois, pensent que prévoir, c’est perdre son efficacité. Trouver un terrain d’entente, surtout quand on n’a pas l’implicite du présentiel, peut vraiment causer des frustrations et des tensions.
Comment qu’on fait ? Il n’y a pas de recette miracle. Mais l’ouverture d’esprit aide énormément. Parfois, on n’a pas besoin du plan quinquennal pour commencer à faire quelque chose. Un truc fini sera toujours perfectible, mais permet-il en l’état d’atteindre un objectif ? Dans le miroir, faire pour faire est plus satisfaisant avec un objectif et un minimum de cadre. Le plus important pour les « faiseurs » ? La différence entre : « je saute d’un sujet à l’autre parce que c’est plus fun » et « j’accomplis de petites tâches à la recherche de nouvelles opportunités ».
Le télétravail, c’est cool : recos en vrac
- Dédier un endroit que l’on « quitte » tous les jours à la même heure. Mon bureau est dans le couloir (il est très large, donc c’est aménagé). Même à la table à manger, c’est pareil : vers 12h15, on lève les ordis/cahiers/boxon et on met le couvert. Le soir, 18h ou 18h30, c’est terminé.
- Se mettre d’accord sur l’objectif de chaque outil de communication. On a tous et toutes eu des réunions/confcalls qui auraient pu être des mails. Ainsi, les urgences se règlent de préférence au téléphone/en confcall. Les questions rapides, les demandes de clarification pas super importants : par messagerie instantanée. Les aspects planif’, les nouveaux projets : par mail.
💌 J’insiste pour un aparté sur le mail. Il nous force à poser un cadre, un contexte, à ordonner des pensées et des idées. Ce qui a pour résultat de nous obliger à ne dire que des choses utiles et, idéalement, à des gens pertinents. Les mails, ce n’est pas un tchat où toute la boîte est en copie pour un « oui » et pour un « non ». Alors, donner un contexte, préciser si une décision est attendue et indiquer quand vous avez tous les éléments nécessaires pour avancer est une façon respectueuse d’utiliser cet outil.
- Expérimentons. Il ne s’agit pas à se forcer à prendre des habitudes qui nous « tordent le bras ». On avance par essai-erreur : si quelque chose ne me convient pas, j’en modifie un aspect, je reprends. La meilleure façon d’organiser son temps, c’est celle avec le meilleur rapport « bénéfice/faitch*** ».
Bon télétravail ✔🧠🦾
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