Cette semaine, j’ai lu deux ouvrages assez différents. Ou pas, en fait. Il s’agit de l’édition août-septembre de « Manière de voir » (n°112 donc) et d’un livre intitulé « Contes d’Irlande – l’Île enchantée ».
Le premier, le bimensuel édité par le Monde diplomatique, porte le titre fédérateur « Le temps des utopies ». Même si la quasi-totalité des articles ont déjà été publiés dans des éditions précédentes du Monde diplo, ils ont été actualisés et restent malheureusement toujours d’actualité. Ainsi, le thème de l’utopie est lu et analysé au travers de ses différentes facettes : les biotechnologies et les OGM, les solutions d’énergie nouvelle, le projet titanesque et presque relevant de la SF qu’est celui du terraformage de Mars, l’utopie politique. Un article m’a particulièrement touché : « (N)ostalgie est-allemande du communisme », de Peter Linden, Dominique Vidal et Benjamin Wuttke. Comme depuis des années, tous ceux et toutes celles ayant un peu connu le monde derrière le Mur, le sentiment de nostalgie est là. La fin de l’article cite ce passage de Bertolt Brecht que je trouve correspondant parfaitement à ce que beaucoup peuvent ressentir :
Je suis assis au bord de la route
Le chauffeur change une roue
Je ne me sens pas bien là d’où je viens
Je ne me sens pas bien là où je vais
Pourquoi est-ce que j’observe le changement de roue
Avec impatience ?
Et justement, cette (n)ostalgie si dévorante et inexplicable est symptomatique de ce dont nous manquons : une alternative viable. Une telle qui ne nous transforme pas en robots collectivistes ou en oiseaux en cages dorés. A-t-on tellement intériosé les barreaux autour que nous en avons maintenant dans nos têtes et appelons « utopie » toute possibilité de vie autre et fondée sur la non-existence d’un gouvernement centralisé et sans novlangue quotidienne ?
Le deuxième ouvrage de la semaine est un livre de contes. Enfin, pas tout à fait. Il s’agit d’une traduction d’anglais et gaélique de recueils de la tradition orale irlandaise. Autant les contes et légendes peuvent souvent être totalement plongés dans un monde imaginaires, autant ici toute phrase est imprégnée de la vie quotidienne. Parfois, les récits se répètent presque : deux sources sont traduites. Les contes sont organisés en ordre que l’on peut appeler chronologique : ça commence par la création du monde, l’histoire du petit peuple (les fées, lutins, etc.) et continue avec les évolutions de la vie des hommes. Ce qui est vraiment surprenant, ce sont toutes les « injections » telles que les Façon de faire, Façon de voir et Devinettes. Il s’agit par exemple de petits rites quotidiens en lien avec un conte ou une croyance. Ainsi, on vous rapporte que les tourbillons de vent de l’été sont des fées et il faut leur lancer un brin d’herbe ou un truc pour pas qu’elles vous emportent.
Si je disais que ces 2 lectures sont à première vue déconnectées, je me rends compte que ce n’est pas exact. La première parlait d’utopies, de ces rêves que l’on a de changer la face du monde que nous peuplons. Et la 2e… il s’agit d’un entremêlement de réel et imaginaire, le tout dans le cadre d’une société en voie de disparition qui était ce que l’on pouvait imaginer : organisée horizontalement. Le dicton « La roue tourne » est omniprésent. Même si la notion de dieu et donc de puissance surnaturelle l’est aussi « grâce » à l’invasion des religions monothéistes principales, ce qui se dégage de la lecture est l’idée qu’on a l’obligation du respect d’autrui et on n’a pas à empiéter sur son espace vital.
La question qui se pose est ainsi, pour moi, donné par l’ensemble de articles de « Manière de voir ». La question étant : comment conjuguer ce respect des libertés au sein d’un monde qui croît à une vitesse impressionnante et qui est devenu irrégulable parce qu’en proie à un mélange de croyances aux limites du rationnel dites lois économiques ? Comment dans ce cadre violent un individu pourra s’autodéterminer ? Si je n’arrive pas à savoir jusqu’où va le « moi », comment saurais-je où s’arrête « toi » et pourrai ainsi respecter ce que l’autre est ?