Quel avenir (s’il en a un) pour les brevets en biotechnologie ? Quel est le changement introduit suite à la décision de l’affaire Bilski ? A-t-il changé quelque chose en fait ? Je ne suis pas spécialiste, mais je vais faire un essai d’analyse. Tout d’abord, ce billet portera sur la question de la définition de la brevetabilité du vivant. Dans un autre, je vais essayer d’aller plus dans les détails historiques et de leur importance pour l’avenir des brevets en biotechnologie.
La première question à traiter est à savoir quels sont ces brevets en biotechnologie. En d’autres termes, définir ce qui est brevetable quand on parle du domaine de la biologie et des sciences de la vie.
Curieusement ou non, il y a beaucoup de réponses. Selon que vous êtes aux États-Unis ou en Europe, par exemple. Ainsi, l’USPTO (United-States Patent and Trademark Office) a une vision de comment faire breveter une partie d’un génome et l’OEB (Office européen des brevets) a la sienne. Selon l’USPTO, une demande de brevet est jugée sur quatre critères :
- L’invention doit être utile, par exemple l’inventeur doit identifier un but utile pour elle ;
- L’invention doit être nouvelle, soit inconnue ou inutilisée avant le dépôt ;
- L’invention doit être non évidente, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas constituer une amélioration facile à faire par une personne spécialiste du domaine concerné ;
- L’invention doit également être décrite en détails suffisants pour permettre à une personne versée dans le domaine de l’utiliser aux fins indiquées (également appelé le critère suffisant).
Selon l’OEB (Office européen des brevets), les inventions du domaine de la biotechnologie doivent répondre aux mêmes critères que ceux dans tout autre domaine technique :
- L’invention est nouvelle ;
- L’invention est susceptible d’application industrielle ;
- Il implique une étape d’activité inventive.
Mais étant donné la nature de la biotechnologie, de diverses autres règles s’appliquent également.
Le matériau premier n’est pas brevetable, ce qui signifie qu’il suffit d’isoler et purifier une séquence d’ADN pour la rendre « non naturelle » et donc, éventuellement brevetable. En d’autres termes, étant donné que le mouvement Do It Yourself biologie (DIYbio) se développe de plus en plus, qui sait : peut-être qu’extraire un fragment d’ADN d’une bactérie modifiée à domicile est brevetable…
En général, pour donner la priorité à des brevets, l’USPTO suit ce que l’on appelle la règle du premier à inventer alors que dans la majorité des autres pays du monde, la première règle est premier à déposer. Selon l’USPTO, 3 ans sont nécessaires pour délivrer un brevet par rapport à 1 an et demi dans le cas de l’OEB. Les deux bureaux offrent des brevets qui valides pour 20 ans à compter de la date de dépôt.
Qu’est-ce que les brevets sur les gènes dans la pratique ? Les titulaires du brevet détiennent les droits exclusifs sur les séquences génétiques qui ont été brevetées, leur utilisation et leur composition chimique. Par conséquent, toute personne qui fabrique ou utilise un gène breveté sans l’autorisation du titulaire du brevet (que ce soit à des fins commerciales ou non) commet une contrefaçon de brevet et peut être poursuivi par le titulaire du brevet. Plusieurs enquêtes ont établi que près de 20% des gènes humains identifiés sont sujets à des brevets à ce jour…
En raison de sa définition controversée, la brevetabilité des gènes est une chose difficile. Pour cette raison et d’autres, le Human Genome Project a décidé de déposer toutes les séquences génétiques qu’il produit dans le domaine public. Mais les brevets et les problèmes de licence sont toujours là : qu’en est-il par exemple de tout ce qui n’est pas un gène à proprement parler, comme un haplotype, les SNP, données d’expression génétiques, etc. ? Une étude menée par le National Human Genome Research Institute (NHGRI), en collaboration avec les NIH a été achevée en 2006 ; en voici la description :
La brevetabilité et les licences du matériel génétique humain et des protéines représentent une extension des droits de la propriété intellectuelle à la présence naturelle du matériel biologique et l’information scientifique, en grande partie bien en amont des médicaments et autres traitements de maladies. Ce rapport conclut que les restrictions de propriété intellectuelle imposent rarement des charges importantes sur la recherche biomédicale, mais il y a des raisons d’appréhender quant à leur impact futur sur les avancées scientifiques dans ce domaine. Le rapport recommande 13 actions que les décideurs politiques, les tribunaux, les universités et les responsables de la santé publique et des brevets devraient prendre pour éviter à un ensemble de plus en plus complexe de protections de propriété intellectuelle de pénétrer dans la voie du progrès dans la recherche génomique et protéomique. Ce rapport approuve les lignes directrices des National Institutes of Health (NIH) concernant les licences de technologie, le partage des données et les échanges du matériel de recherche et déclare que la surveillance de la conformité devrait être renforcée. Il recommande l’adoption d’une exception légale de la responsabilité d’infraction pour la recherche sur une invention brevetée et d’élever la barre des conditions permettant à un brevet sur les découvertes de la recherche en matière de biotechnologie de se qualifier en tant que tel. En ce qui concerne les tests génétiques de diagnostic pour détecter des mutations liées à certaines maladies chez des patients, le rapport insiste à ce que les titulaires de brevets permettent à d’autres d’effectuer des essais en vue de vérification des résultats.
Assez étonnamment – ou devrais-je dire paradoxalement, – les brevets sur les tests de diagnostic semblent être découragés mais pas celles sur les traitements.
Aux États-Unis, de nombreux scientifiques obtiennent un doctorat et choisissent « une carrière loin de la paillasse » laquelle est, par exemple, devenir examinateur de brevets ou spécialiste de transfert de technologie. Vous n’avez pas besoin d’un diplôme en droit pour faire ce travail. En Europe, de nombreuses universités offrent des cours sur la brevetabilité des inventions.
Comment a-t-on commencé à breveter le vivant ? Si je ne m’abuse, il a commencé au 19ème siècle avec un scientifique en Finlande brevetant un moyen de cultiver des levures ; Pasteur a également fait breveter son procédé de culture de levure. Dans les années 1980, la décision du procès Diamond v. Chakrabarty, où la Cour Suprême américaine a été divisée en 5 contre 4 et il a été indiqué qu’une bactérie génétiquement modifiée conçue pour « digérer » le pétrole n’était pas « un produit de la nature » et, par conséquent, l’innovation était d’ordre technique et possible à être brevetée.
Alors, pourquoi les brevets existent ? Ils procurent des avantages à ceux qui les détiennent. Les gens disent que breveter une technologie / découverte est source d’innovation. Les chercheurs sont gratifiés pour leur travail et la duplication des efforts par d’autres est empêchée. D’aucuns prétendent même que la transparence des recherches est forcée et tout chercheur désireux d’accéder à l’innovation est libre de le faire en respectant la législation en vigueur sur les brevets.
Je dois dire que je suis totalement choquée lors de la lecture de ce genre de considérations :
- Les brevets procurent des avantages à ceux qui les détiennent: à coup sûr. Donc, lorsque quelqu’un est dans le milieu universitaire, il/elle y est dans le but de recueillir et produire des connaissances ou est-ce pour faire des bénéfices financiers sur une base tout à fait personnelle ? Qu’en est-il de tout le joli monde tel que les techniciens, stagiaires et autres étudiants qui ont travaillé sur le sujet ? Je doute que ceux-là sont titulaires de brevets à égalité.
- La protection par brevet d’une technologie / découverte est source d’innovation : celle-ci est la meilleure. Ainsi, il est tout simplement impossible pour moi d’imaginer comment un gène protégé par des tonnes de pages d’interdiction d’utilisation est une source d’innovation. Je ne parle même pas de l’absurdité de prétendre posséder quelque chose qui tout simplement existe. Le système des brevets assure le monopole à un petit nombre de sociétés. Mais quand vous pensez que pour de nombreux laboratoires il est même difficile de payer pour la publication de leur travaux, comment quelqu’un pourrait imaginer le brevetage des gènes et technologies est une émulation scientifique ?
- Les chercheurs sont gratifiés pour leur travail et la duplication des efforts par d’autres est empêchée : c’est fallacieux, mensonger même. Ainsi, pour qu’un scientifique soit gratifié, il n’y a qu’un seul moyen : un brevet sur un gène ? Et que dire des autres pauvres diables qui n’ont pas de brevets ? Ils font un travail inutile ? Considération intéressante que celle-là. En outre, l’idée du savant fou isolé à faire des trucs proches de la magie dans un laboratoire en fumée est un cliché et est constitue une vision totalement irréelle. Aujourd’hui, les équipes scientifiques travaillent souvent avec des technologies très complexes et dans la plupart des cas, les collaborations sont de mise car le matériel est très coûteux et les données sont trop volumineuses pour être manipulées par une seule personne. Ainsi, quand une équipe publie un article parlant du récent séquençage d’un génome ou annonçant d’autres résultats scientifiques, les données doivent être incluses dans une base de données publique. Les données obtenues sont donc rendues publiques et accessibles à quiconque en a besoin, gratuitement. En outre, dans de plus en plus de cas, les bases de données publiques sont manuellement revues, ce qui signifie qu’il y a une vraie personne prenant soin de la qualité de ce qui s’y trouve. Je crois que je ne suis ni folle ni idiote en disant qu’avoir publiquement accessibles des données produites par tous les chercheurs dans le monde est suffisante pour réduire le secret de la recherche et éviter la duplication des efforts.
Ma question à la fin de ce billet est donc : pourquoi devrions-nous continuer à respecter et entretenir un système de droits obsolète ?
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