Humeur : la ministre française de l’éducation s’exprime sur le classement de Shanghai

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Le quotidien français Libération organise régulièrement des tchats où des questions sont posées à des personnalités politiques différentes. Le 15 septembre, l’invité était Mme Valérie Pécresse, la ministre de l’Éducation et de la Recherche. Elle a répondu à plusieurs questions intéressantes et, parmi elles, une sur le classement de Shanghai publié il n’y a pas longtemps. Je préfère rire que pleurer de désespoir quand je lis ça …
Ainsi, la question était :
« Comment percevez vous le classement de Shanghai? Et quel commentaire y apportez vous en voyant le classement des universités françaises? »

Et la réponse ne s’est pas faite attendre :
Je suis allée à l’université de Jiao Tong, qui réalise le classement de Shanghai, et je me suis aperçue qu’il y avait des biais dans le classement qui conduisent à minorer les performances des universités françaises. Notamment, les publications des chercheurs CNRS qui travaillent dans des laboratoires mixtes dans les universités ne sont pas pris en compte. Et les regroupements récents d’universités (Bordeaux, Lorraine, Aix-Marseille) non plus. Nous allons y travailler avec eux, parce que ces classements sont lus dans le monde entier. Il vaut mieux les utiliser que les subir.
Wahou, nous voilà rassuré(e)s. Heureusement, Mme Pécresse est là et, telle Superwoman, va changer le  méchant monde. Est-il possible de savoir pourquoi la Superministre n’a pas lu le papier ou même la page dédiée  de Wikipédia décrivant la méthodologie de classement avant de dépenser l’argent du contribuable pour se rendre à Shanghai à réaliser qu’il y a une façon donnée de faire ce classement? Je veux dire, juste taper »méthode de classement de Shanghai » dans votre moteur de recherche préféré et les premiers résultats que vous avez sont sur la façon dont il est fait. Ainsi, lorsque vous êtes sur la page du classement lui-même, vous avez un lien « Méthodologie » en haut Si vous cliquez dessus, il vous amène à la page de la méthodologie utilisée pour établir ce classement. Magique.
Eh bien, la façon dont les universités à classer sont retenues est très claire : il est décrit dans la première section de cette page :

ARWU prend en compte chaque université comptant des lauréats du prix Nobel, de la Médaille Fields, des chercheurs des plus cités ou des articles publiés dans Nature ou Science. En outre, les universités avec une quantité importante de documents indexés par le Science Citation Index-Expanded (SCIE) et Social Science Citation Index (SSCI) sont également incluses. Au total, plus de 1000 universités sont en fait classées et les 500 meilleures sont publiés sur le web.

Dans le cas où quelqu’un du ministère fera l’effort de chercher la méthodologie avant de s’envoler pour Shanghai prochaine fois, c’est ici :

Shanghai ranking methodCi-dessous, vous pouvez lire la section « Définition des indicateurs » indiquant ce que chaque mot de la colonne Code signifie. Par exemple, la définition de l’indicateur Prix (Award) est le suivant :

Le nombre total de personnes travaillant pour une institution à avoir gagné des prix Nobel de physique, chimie, médecine et économie et la médaille Fields en mathématiques. Le personnel est défini comme étant ceux qui travaillent dans un établissement au moment de gagner le prix. Des poids différents sont fixés selon les périodes d’obtention du prix. Le poids est de 100% pour les gagnants à partir de 2001, 90% pour les gagnants de la période 1991-2000, 80% pour les gagnants de la période 1981-1990, 70% pour les gagnants de la période 1971-1980, et ainsi de suite ; enfin, 10% pour les gagnants de la période 1911 -1920. Si un gagnant est affilié à plus d’un établissement, chacun de ceux-là se voit attribuer la réciproque du nombre d’institutions. Pour les prix Nobel, si un prix est partagée par plus d’une personne, les poids sont fixés pour les gagnants en fonction de leur proportion du prix.

Les gens sont gentils et donnent le lien vers la page web du Prix Nobel. Vous pouvez donc la parcourir et lire qui sont les lauréats du Prix Nobel pour l’année de votre choix (2009, par exemple). Le lien vers le site web des médaillés Fields ainsi que celui pour vérifier les citations sont également fournis.

Alors, pourquoi aller à Shanghai? Il y a très peu de lauréats du prix Nobel travaillant dans les universités françaises. Pourquoi n’a-t-elle pas mentionné un autre classement qui est beaucoup plus sensé: le classement Times Higher Education. Si vous jetez un œil sur la page de la méthodologie, vous voyez que les critères sont plus réalistes. Ainsi, ils utilisent 13 indicateurs classés en 5 catégories principales :

Comme vous pouvez le voir, aucune mention du prix Nobel ou assimilés. Ce qui, pour moi, est une idée extrêmement respectable : je veux dire, une université vise à donner aux étudiants des connaissances et de leur apprendre comment faire de la recherche de qualité. L’université est donc censée garantir que tous les élèves aient un accès égal au savoir et à un emploi. Gagner un prix Nobel est cool, mais loin de l’objectif principal de la politique universitaire. Par conséquent, vous avez une estimation beaucoup plus sensée de l’université  avec les critères du classement Times que ceux du classement de Shanghai.

Alors, Mme Pécresse, qu’en est-il des biais dans votre « étude » ?

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